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La Nouvelle-Calédonie face à l’Histoire (7/8)

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Chapitre 7 – Référendum d’autodétermination : l’opportunité de renouveler le paysage politique néocalédonien pour une politique de l’avenir

L’histoire et la construction institutionnelle et juridique de la Nouvelle-Calédonie font d’elle un territoire français unique. À cela, s’ajoute une vie politique qui lui est propre et qui ne s’inscrit dans aucune logique métropolitaine. Non pas que la politique néocalédonienne fait fi de toutes les problématiques métropolitaines, mais plutôt que le tropisme des enjeux locaux est tel qu’il s’arroge toutes les attentions. Ainsi, et depuis les premières revendications indépendantistes, le paysage politique de la Nouvelle-Calédonie est profondément marqué par une opposition singulière pour un territoire français : indépendantistes (1) contre anti-indépendantistes (2), aussi appelés loyalistes.

La politique néocalédonienne se distingue par trois aspects fondamentaux. En premier lieu, elle est plus une politique d’hommes que de partis. Lors des « Évènements », deux grandes figures néocalédoniennes se sont opposées : Jean-Marie Tjibaou, leader du FLNKS, indépendantiste et Jacques Lafleur, leader du Rassemblement pour la Calédonie (RPC), loyaliste. Ces deux hommes, respectés de tous, ont posé les fondations de l’affrontement politique en Nouvelle-Calédonie : une opposition aussi idéologique que personnifiée.

Le 26 juin 1988, Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou signent l’Accord de Matignon.

Ensuite, le débat politique néocalédonien est phagocyté par le référendum d’autodétermination. Certains loyalistes voient dans ce référendum une occasion d’annihiler toutes volontés d’indépendance, quand d’autres, qui aspirent à une alternative, le remettent en question et refusent toutes décisions « couperet ». Aujourd’hui, en agglomérant les résultats des élections provinciales et municipales, le rapport de force, qui est le même depuis une vingtaine d’années, a toujours penché en faveur des loyalistes : 60/40.

Notons que cette répartition électorale correspond à la démographie ethnique néocalédonienne, puisque les Kanaks représentent un peu moins de 40% de la population. Alors, la volonté d’indépendance est-elle une volonté ethnique ? Tel semble être le cas. D’abord parce qu’à l’origine, cette volonté d’indépendance est celle de la population mélanésienne. Ensuite, parce que la quasi-totalité des élus indépendantistes sont kanaks, tout comme leur base électorale. Cette construction politique autour de la volonté d’indépendance s’explique par l’incapacité des indépendantistes à convaincre les populations non-kanakes, faute notamment d’arguments porteurs dans leur programme politique. Souvent attachée à l’Etat français, la population « non-kanake » reste insensible au projet politique indépendantiste qui lui apparaît, pour trop, éloigné de ses aspirations et intérêts. Soulignons également que l’enchevêtrement entre statut coutumier et responsabilités au sein des partis indépendantistes la dessert. Il est courant de voir des responsables coutumiers aux plus hauts postes des partis politiques indépendantistes. De fait, les autres électeurs, qui ne reconnaissent pas la légitimité de ces responsables, puisqu’elle s’appuie, souvent, sur un statut coutumier qui leur est aussi étranger qu’inaccessible, s’en éloignent. De même, la population kanake a changé. Toujours proche de ses racines idéologiques, elle est cependant davantage « connectée » au monde occidental. Ainsi, plus « instruite » puisque plus scolarisée, mais aussi plus urbaine, plus salariée et bien plus à l’aise avec les nouvelles technologies, la jeune génération prend peu à peu ses distances avec ses aînés. Sans être écartelée entre modernisme occidental et traditionalisme ethnique, la ferveur qui imprégnait la jeunesse kanake s’essouffle.

À quand le renouvellement politique ?

Toutefois, la question de l’indépendance peut-elle se limiter à la volonté d’une seule ethnie ? Non, la volonté d’indépendance d’une seule ethnie ne peut seule suffire. En effet, comme le rappelle Pierre Frogier (4), la construction politique autour de la volonté d’indépendance n’est pas si simple. « Chez nous [les loyalistes] il y a des Kanaks qui nous ont accompagnés et qui continuent de nous accompagner […] Il y a des mélanésiens qui restent profondément attachés à la France » avant d’ajouter qu’il y a « aussi bien des Européens que des gens issus de la communauté wallisienne qui sont favorables à l’indépendance » (5) .

Enfin, il faut noter que la politique néocalédonienne manque singulièrement de renouvellement. On retrouve aujourd’hui dans le paysage politique et les instances décisionnaires les mêmes hommes politiques que ceux qui ont été impliqués dans la signature de l’Accord de Nouméa. À titre d’exemple, Harold Martin, entre 1997 et 2014 a été deux fois Président du gouvernement, une fois « ministre » (5), trois fois Président du Congrès, où il est élu depuis 1984 (6), tout en officiant comme maire de la commune de Païta qu’il dirige depuis 1995. L’absence de renouvellement de la classe politique indépendantiste s’explique davantage par la prééminence et l’influence de la culture kanake qui octroie la primauté aux plus âgés. Maintenus à l’écart des décisions, les jeunes Kanaks se désintéressent de l’engament politique, ce qui ne les empêchent pas, en revanche, d’être très impliqués dans le domaine associatif. Il est ainsi regrettable, que la jeunesse, première concernée par l’avenir institutionnel du territoire, ne trouve pas toute sa place dans l’action politique.

La politique néocalédonienne est suspendue aux enjeux du référendum. Elle écarte toutes autres réflexions, notamment celles à long terme. Certains aujourd’hui, comme le think tank « Centre pour un Destin Commun » qui rassemble des jeunes engagés sur les questions politiques, économiques et sociales de la Nouvelle-Calédonie, ont décidé de prendre le contre-pied de la pensée politique unique néocalédonienne et de s’investir sur les problématiques qui transcendent le sujet de l’indépendance. À l’instar d’une société civile qui a toujours su trouver les ressources pour dépasser une histoire difficile, ces initiatives se concentrent sur des sujets qui fonderont l’avenir de l’île, plus encore que la décision du 4 novembre prochain. Faisons le vœu pieu que les décideurs politiques locaux s’attardent plus sur ces initiatives que sur leurs oppositions.

Bastien VANDENDYCK

(1) Chez les indépendantistes, on compte environ neuf partis politiques (L’Union Calédonienne, le Parti de libération kanak, l’Union Progressiste Mélanésienne, le Rassemblement Démocratique Océanien, le Dynamik unitaire Sud, l’UC Renouveau, la Libération kanake socialiste, la Fédération des comités de coordination indépendantistes et le Parti travailliste). Le plus important d’entre eux est le Front de Libération Nationale Kanak Socialiste (FLNKS). Fondé par Jean-Marie Tjibaou en 1984, il rassemble les principales mouvances indépendantistes. On y retrouve notamment l’Union Calédonienne (UC), fondé en 1953, et l’Union Nationale pour l’Indépendance (UNI), coalition électorale et politique indépendantiste dans laquelle se retrouve notamment le Parti de libération kanak, aussi appelé Palika, qui est un des partis les plus à gauche du groupe indépendantiste.

(2) Les anti-indépendantistes, eux, regroupent environ huit partis politiques (Le Rassemblement, L’Avenir ensemble, Le Mouvement de la diversité, Calédonie Ensemble, le Mouvement Populaire Calédonien, le Rassemblement Pour la Calédonie, le Modem et le Front National). Fondé par Jacques Lafleur en 1977, Le Rassemblement, aujourd’hui présidé par Pierre Frogier, est le parti loyaliste historique.

(3) Sénateur de Nouvelle-Calédonie.

(4) Entretien avec Pierre Frogier, le 1er juillet 2016 à 15h30 au Sénat.

(5) Chargé des Mines et de la Fiscalité au sein du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie de 2007 à 2009.

(6) À l’époque appelé Congrès du Territoire.

 

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